Covid-19 : au Rwanda, une politique de vaccination efficace mais controversée

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Le pays a administré deux doses à environ la moitié de ses 13 millions d’habitants et une dose de rappel à plus de 1 million de personnes.

A medical worker injects a second dose of Astra Zeneca vaccine to a patient in a Covid-19 (coronavirus) vaccination centre in Kigali, on May 27, 2021.

Une grande tente blanche a été dressée au milieu des bus en partance pour tout le pays. C’est là, à la gare routière de Nyabugogo, au cœur de Kigali, que les autorités ont choisi d’installer l’un des centres de vaccination contre le Covid-19 de la capitale rwandaise. Chaque jour, une équipe d’infirmiers y administre des doses à des dizaines de passants. Il n’y a pas de temps à perdre : le pays des mille collines veut vacciner 70 % des personnes de plus de 12 ans d’ici à juin et dépasser ainsi l’objectif de l’Union africaine (UA), fixé à 60 % de la population du continen

Le Rwanda fait déjà figure de bon élève sur le continent, où seuls sept pays ont pour l’instant vacciné plus de 40 % de leur population, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Il a administré deux doses à environ la moitié de ses 13 millions d’habitants et une dose de rappel à plus de 1 million de personnes. Rien qu’entre septembre et décembre 2021, il a injecté 8 millions de doses, obtenues grâce à des dons ou à travers les mécanismes Covax (le programme international censé fournir des vaccins aux pays en développement) et Avatt (l’initiative d’achat de vaccins mise en place par l’UA).

La campagne vaccinale s’appuie sur un système de santé extrêmement décentralisé – plus de 500 centres de soins sont disséminés à travers le pays –, sur de nombreux jeunes volontaires venus appuyer les équipes soignantes et sur l’expérience acquise lors des grandes campagnes de vaccination antérieures, comme celle contre le virus Ebola en 2019.

Depuis le début de la pandémie, le Rwanda s’est également démarqué par des mesures extrêmement strictes pour contenir le virus : trois confinements, un couvre-feu qui n’a jamais été levé depuis près de deux ans et la fermeture régulière des bars et lieux culturels. Une politique qui a limité les décès (1 438) mais qui a pesé très lourdement sur les ménages rwandais.

Une obligation pour les fonctionnaires

Ces dernières semaines, Kigali est passé à la vitesse supérieure. Le gouvernement a annoncé l’obligation vaccinale pour les fonctionnaires, sous peine de perdre leur emploi. Toutes les entreprises ont été sommées de s’assurer que leurs employés sont vaccinés et l’équivalent d’un passe vaccinal a été mis en place pour la totalité de la population. II est dorénavant nécessaire de détenir un certificat de vaccination pour assister à des cérémonies religieuses, entrer dans un restaurant et emprunter les transports publics.

« Nous contrôlons le statut vaccinal des passagers lorsqu’ils achètent leur ticket au guichet, puis une deuxième fois à l’entrée du bus », explique Moïse Basiki, chauffeur de la gare routière de Nyabugogo : « S’ils n’ont qu’une dose, ça n’est pas suffisant. On leur dit d’aller se faire vacciner sous les tentes installées ici puis de revenir une fois que c’est fait. » Dans la longue file d’attente, on trouve donc principalement des primo-vaccinés et des personnes venues pour la dose de rappel.

Anaclète Nsanzamahoro, lui, repart dépité : l’infirmière vient de lui annoncer qu’il est trop tôt pour lui administrer son « booster » ; il devra revenir en février. « Je soutiens le passe vaccinal. Le gouvernement ne doit pas prendre pour acquis les progrès faits dans la lutte contre le coronavirus. Sans ces mesures, les gens ne seraient pas incités à se faire vacciner », assure ce fermier de Muhanga, à l’ouest de Kigali, qui explique avoir peur de mourir du Covid-19 s’il n’obtient pas toutes ses injections.

D’autres sont venus à contrecœur. Gabriel, 19 ans, attend sa première dose avec nervosité. « Moi, jusqu’ici, je n’avais pas confiance dans le vaccin. Plein de gens n’ont pas confiance. On entend beaucoup de choses, que c’est satanique par exemple. Mais on vient ici parce qu’on n’a pas d’autre choix », explique ce vendeur de téléphones portables qui considère que les non-vaccinés risquent d’être « isolés » et que le passe vaccinal est une mesure « un peu exagérée ».

Le porte-parole adjoint du gouvernement, Alain Mukuralinda, rappelle quant à lui que le vaccin n’est pas obligatoire et que ces mesures sont mises en place afin de protéger les non-vaccinés.

« Je me suis senti persécuté »

Il demeure difficile de quantifier l’opposition au vaccin. Ces derniers jours, des lettres de licenciement d’employés du service public ont été publiées sur les réseaux sociaux. Elles invoquent clairement « le refus délibéré de se faire vacciner contre le Covid-19 » comme motif de rupture du contrat. Une source au sein du ministère de la santé confirme que plusieurs soignants ont perdu leur travail, sans préciser leur nombre.

Certains Rwandais ont même fui le pays, assurant vouloir échapper à la vaccination. Une centaine d’entre eux sont ainsi arrivés début janvier 2022 à Ijwi, une île congolaise située sur le lac Kivu. « Ils ont expliqué qu’ils ne voulaient pas se faire vacciner pour des raisons religieuses », assure Roger Ntambuka, député provincial du Sud-Kivu. Une dizaine de jours plus tard, le groupe a été reconduit au Rwanda par les autorités. Aujourd’hui, plus de la moitié d’entre eux ont été vaccinés « grâce à de la prévention », assure le gouvernement.

Entre-temps, des témoignages de vaccination forcée dans les campagnes ont commencé à circuler dans les médias et sur les réseaux sociaux. Interrogé par Le Monde, Emmanuel Uwitonze, membre de l’Eglise adventiste du septième jour (qui revendique 900 000 fidèles au Rwanda), raconte avoir été arrêté lors d’une prière collective fin décembre, puis vacciné contre son gré sur ordre des autorités locales. Il considère son corps comme « le temple de Dieu » et refuse d’utiliser des produits non naturels pour la prévention du virus. « Je me suis senti persécuté. J’ai quitté le pays car je considère que j’ai le droit à ma liberté de conscience », explique-t-il, ajoutant avoir peur de se voir administrer une seconde dose. Un autre Rwandais adventiste interrogé par Le Monde et requérant l’anonymat dit avoir fui le pays avec ses proches de peur d’être vacciné de force.

Le gouvernement, qui avait dans un premier temps nié toute vaccination forcée, reconnaît maintenant des abus. « Il a pu y avoir des excès de zèle de la part des équipes de sensibilisation, mais ce n’est pas tolérable et cela ne reflète en aucun cas la politique du gouvernement. Si quelqu’un fait de l’excès de zèle, il faut qu’il soit dénoncé. Heureusement, peu de gens ont été obligés d’être vaccinés », assure Alain Mukuralinda. De son côté, l’Eglise adventiste du Rwanda assure soutenir la vaccination contre le Covid-19 et faire de la sensibilisation, mais confirme qu’une petite partie de ses fidèles refuse toujours de se faire vacciner.

Laure Broulard (Kigali, correspondance Le Monde Afrique)

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