Les prix du gaz sont-ils vraiment devenus «négatifs» en Europe ?

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De la pénurie à l’excès. Montés à des hauteurs records cet été, les prix du gaz ont fortement décliné ces dernières semaines, jusqu’à devenir en partie négatifs ce lundi.

Le transporteur de gaz naturel liquéfié «Flex Rainbow» près du parc éolien offshore de Saint-Nazaire, au large de la péninsule de Guérande, le 30 septembre 2022.

Pendant une heure, le mégawattheure de gaz, pour livraison immédiate, s’est négocié à -15,78 euros sur le TTF, place de marché néerlandaise servant de référence à l’Europe.

Une situation dénoncée par certains internautes, qui rappellent les prix exorbitants payés par les Européens pour remplir leurs réserves cet été.

D’où vient ce phénomène ?

Ces prix négatifs prennent leur source dans l’arrêt des livraisons de gaz russe. Craignant pour leur sécurité énergétique en vue de l’hiver, les Européens avaient profité de l’été pour remplir la quasi-totalité de leurs capacités de stockage de gaz. Une opération réussie, au prix d’une explosion des cours : début octobre, les capacités de stockage européennes étaient remplies à 89 % – un chiffre qui montait même à 99 % pour la France.

Ce remplissage des cuves était censé être compensé par l’arrivée de l’automne et la hausse de la consommation d’énergie pour le chauffage ; mais la vague de chaleur est passée par là, et les stocks, au lieu de se vider, ont continué de se remplir. De ce fait, le gaz qui arrive en Europe ne peut aujourd’hui ni être stocké ni être consommé : si un nombre croissant de méthaniers choisissent de garder leur cargaison en attendant l’arrivée du froid, ce n’est pas le cas d’autres navires ou des gazoducs, difficiles à mettre complètement à l’arrêt.

Cette dynamique a entraîné une chute des prix de court terme, jusqu’à l’absurde : lundi, l’excès d’offre avait atteint un point tel qu’il a fallu payer des acheteurs pour les convaincre de s’emparer de ce gaz. Un prix négatif devenu acceptable pour les détenteurs de ce gaz, pour qui la facture de stockage ou d’arrêt des installations aurait été supérieure.

Une situation provoquée, en résumé, par des stocks de gaz pleins et une météo estivale.

S’agit-il d’une première ?

Si ce phénomène peut sembler étrange, il n’est pas nouveau. Des prix du gaz négatif avaient déjà été observés sur le marché «spot» du TTF en octobre 2019 ; quant au pétrole, il avait connu un phénomène similaire pendant le confinement mondial d’avril 2020. Faute de consommation et de capacités de stockage, le baril de brut américain avait atteint les -37,63 dollars le 20 avril au soir.

Sera-t-il amené à se reproduire ? «Dans les prochains jours, ce n’est pas impossible, car la météo est absolument hallucinante», explique Emeric de Vigan, spécialiste de l’énergie interrogé par CheckNews. Avec, toutefois, une limite : «Ce genre de situation ne peut arriver que si les stocks de gaz sont pleins.»

Peut-on vraiment parler de «prix du gaz négatifs» ?

Pour autant, il serait trompeur de dire que les «prix du gaz» sont devenus négatifs cette semaine. Les prix ici évoqués sont les prix «spot» du TTF : comme l’indique Emeric de Vigan, ils ne correspondent qu’à des échanges «d’équilibrage», servant à ajuster l’offre et la demande sur le réseau à très court terme par la vente ou l’achat de faibles quantités de gaz. Un «tout petit élément du marché» qui, d’après l’expert, représenterait une quantité de l’ordre de «0,1 % à 1 %» des transactions du jour sur cette seule place de marché.

La grande majorité du gaz est, elle, échangée dans des «contrats à terme», dont la livraison est prévue plusieurs mois ou années après achat. Ce sont eux, aux prix plus stables, qu’il faut scruter pour dessiner des tendances susceptibles de faire varier la facture payée par le consommateur final. Ces dernières semaines, leurs tarifs ont nettement diminué, avoisinant à présent les 100 euros le mégawattheure, contre 350 euros en août. Des tarifs revenus au niveau de ceux observés depuis 2021, mais toujours cinq fois supérieurs aux tarifs qui avaient cours en Europe jusqu’en 2020.

Des prix certes positifs, mais dont la baisse interroge. N’aurait-on pas mieux fait de lisser notre remplissage des réserves de gaz, afin de limiter l’envolée des prix de l’été et d’éviter l’excès de réserves observé en octobre ? «C’est comme vous dire que vous avez payé trop cher votre assurance de voiture parce que vous n’avez pas eu d’accident, rétorque Emeric de Vigan. Personnellement, je ne pense pas qu’on ait rempli trop tôt, parce qu’on n’aurait pas eu ces prix négatifs sans cette météo.» Une météo qui, en faisant économiser du gaz à l’Europe, devrait contribuer à limiter les risques de pénurie pour cet hiver.

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