La Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la Communauté Économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) s’est réunie en session extraordinaire le 24 février 2024 à Abuja, au Nigeria.
Le communiqué final publié à l’issue de cette session renseigne sur les principales décisions dont l’une des plus marquantes est la levée de sanctions prises à l’encontre de pays en transition dans la région.
Seul le Burkina Faso n’est pas concerné par ces mesures.
Quelles sont les sanctions qui ont été levées ?
La Cédéao a décidé de la levée, avec effet immédiat, les sanctions prises contre la Guinée et le Niger après la prise du pouvoir par des militaires dans ces deux pays.
Pour la Guinée, ce sont les sanctions financières et économiques qui ont été levées : “le gel des avoirs financiers” des dirigeants, leur interdiction de voyager ainsi que la suspension de toute assistance et transaction financière en faveur de la Guinée par les institutions financières de la Cédéao.
La suspension de la Guinée de toutes les instances décisionnelles de la Cédéao reste en vigueur.
En ce qui concerne le Mali, l’organisation régionale a décidé de lever les restrictions imposées au recrutement de ses citoyens à des postes professionnels au sein des institutions de la CEDEAO.
Toutefois, c’est la levée des sanctions prises contre le Niger qui a le plus retenu l’attention. Elle porte sur la réouverture des frontières et de l’espace aérien nigériens, l’autorisation des transactions financières entre les pays de la Cédéao et le Niger et le dégel des avoirs de l’État nigérien.
La Cédéao justifie ces mesures « pour des raisons humanitaires ».
Des réactions entre soulagement et vigilance
Si certains nigériens se réjouissent de la levée des sanctions, d’autres restent suspicieux quant à la réouverture des frontières terrestres et aériennes.
« C’est une bonne nouvelle. On a beaucoup souffert parce que les sanctions qu’ils ont posées contre le Niger, jamais dans le monde de l’histoire de l’humanité, on n’a jamais fait ça à un autre pays. Ils nous ont privés de beaucoup de choses. Il n’y a pas de médicaments quand vous partez dans les pharmacies, ça nous a tellement choqué. Là, c’est un crime contre l’humanité », témoigne ce citoyen nigérien sur BBC Afrique.
« Avec cette levée de sanctions, nous ne pouvons que nous réjouir parce que c’est un soulagement pour toute la population nigérienne et que nous aspirons dans les jours à venir à ce qu’il y ait un terrain d’entente entre les autorités en place et les chefs d’État de la CEDEAO. », renchérit un autre Nigérien.
Toutefois, cette femme rencontrée par notre correspondante à Niamey se veut méfiante : « Tout ce que nous demandons à nos nouvelles autorités, c’est d’être très vigilant parce que, comme vous le savez aujourd’hui, les sanctions ne sont pas encore terminées. Tout peut arriver. Tout ce que nous demandons à nos autorités, c’est de multiplier encore les efforts pour qu’il y ait plus de contrôles au niveau des frontières. »
Elle dit apprécier néanmoins le moment choisi : « Nous sommes très contents aujourd’hui parce que, comme vous le savez maintenant, c’est le mois du ramadan qui approche. Avec ces sanctions, il y aurait trop de souffrance au niveau de la population. »
Quel sera l’impact de la levée des sanctions ?
Analyse du Professeur Issoufou Yahaya, Professeur Titulaire des Universités du CAMES, ENS-Université Abdou Moumouni de Niamey NIGER
Qu’est ce qui a facilité cette prise de décision de la Cédéao qui lève plusieurs sanctions prises contre plusieurs pays en transition dans la région ?
De manière concrète, on peut invoquer la médiation togolaise. C’est une médiation qui a été fructueuse.
Deuxième élément, la résilience des Nigériens. Il faut vraiment la mettre en perspective puisqu’être privé de courant électrique et privé de produits pharmaceutiques, subir un embargo aérien et terrestre, la fermeture des frontières tout cela. Je pense que le Nigérien a été résilient et que ça aurait pu durer sans affecter véritablement en profondeur le pays qui est plus ou moins autonome et qui a accès à d’autres ressources, à d’autres pays, en particulier via l’Algérie, le Mali ou le La Libye.
Le Niger, le Mali et le Burkina Faso ont déjà annoncé leur sortie de l’organisation Cedeao et la création de l’Alliance des États du Sahel. Est ce que la levée des sanctions va pouvoir changer quelque chose?
Je pense que dans la trajectoire de l’AES, l’Alliance des États du Sahel, la levée des sanctions contre le Niger n’aura pas d’impact. Ça peut être positif dans la vie future du Nigérien, mais dans la marche en commun de ces trois pays dans cette alliance, je pense que cela n’aura pas d’impact puisque je vous rappellerai que c’est la solidarité apportée au Niger par le Mali et le Burkina qui a fait plier la Cédéao qui était en faveur d’une intervention militaire. Donc, cette solidarité, c’est vraiment le poumon qui fait avancer cette fédération.
Comment décrisper le climat entre les États de l’AES, d’un côté, et les dirigeants de la Cédéao, de l’autre ?
Je pense que du côté de l’AES, il n’y a plus de confiance à l’endroit de certains chefs d’État, en particulier le président du Bénin, M. Talon, le président Ouattara, le président Tinubu et même le président Macky Sall qui est en fin de mandat. Je pense qu’ils ont été tellement outranciers dans leur prise de position qu’aujourd’hui, même si par exemple les sanctions ont été levées, les frontières rouvertes, je ne vois pas comment la frontière entre le Niger et le Bénin, par exemple, pourrait être rouverte à court terme. Donc il y a plus de confiance entre les différents acteurs.
Deuxième élément, on a des régimes militaires dans les trois pays qui sont venus au pouvoir dans des contextes de contestation d’un certain ordre démocratique. En réalité, une démocratie électorale ou électoraliste complètement vidée de son contenu et c’est le contenu que ces militaires veulent donner à leur pays en dénonçant des accords coloniaux ou des accords de servitude en voulant capitaliser les ressources naturelles dont ils regorgent, ce qui n’était pas le cas et en parlant au nom de leur population. Si je prends l’exemple du Niger pendant quasiment douze années, le Niger n’appartenait plus aux Nigériens, on a vu à la limite des accords de défense, mais quand bien même le Niger demandait aux Français de quitter, ils avaient dit qu’ils ne quitteraient pas comme si le Niger était un département français. Donc il y a plus de confiance et le fait que des pays comme le Bénin aient accepté l’installation des bases françaises sur leur territoire, tout comme au Nigeria et ailleurs, contribue à alimenter ce climat de méfiance.
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