Budgets militaires : combien coûte la guerre contre les groupes armés aux pays du Sahel ?

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En hausse constante, année après année, les budgets de ces pays prennent de plus en plus de place dans la finance publique, au détriment parfois des secteurs sociaux comme l’école et la santé.

Au moment où les pays les plus touchés par l’insécurité dans la zone, notamment le Mali, le Niger et le Burkina Faso se séparent de leurs partenaires, et qu’ils sont désormais appelés pour certains à mener la lutte seuls ou avec d’autres partenaires, BBC Afrique tente de voir dans les détails, combien coûte la guerre au Sahel.

Impacte-t-elle les dépenses sociales comme la santé ou l’éducation ? Si oui, à quelle proportion ? C’est ce que nous tenterons de voir dans cet article.

Mali, quand la guerre l’emporte sur le social

Entre 2019 et 2022, les dépenses militaires au Mali ont presque doublé, passant de 299,080 milliards de FCFA en 2019 à 476,378 milliards de FCFA en 2023.

À cela, il faut ajouter la hausse des dépenses des forces de sécurité (police) qui sont passées de 97,284 milliards de FCFA à 152,466 milliards sur la même période.

Ces allocations croissantes de ces trois dernières années confirment la tendance observée depuis le début de la décennie 2010, période durant laquelle le Mali a commencé à faire face à des problèmes de sécurité.

Les données chiffrées sont rares, mais selon les prévisions officielles, le pays devrait disposer 1 230 milliards de francs CFA, entre 2015 et 2019, dans le cadre de ce que les autorités ont appelé loi d’orientation et de programmation militaire.

Une sorte de programmation visant à « améliorer la formation, le fonctionnement et l’équipement de l’armée », à côté d’un autre programme quinquennal (2017-2022) avec une dotation de 446 milliards de Francs CFA, avec pour objectif « d’améliorer les capacités des forces de sécurité », donc de la police.

Cette hausse est restée constante dans les différents budgets de l’Etat malien. On note par exemple que ces dépenses consacrées à la défense et à la sécurité représentaient 15 % du budget de l’Etat en 2018, selon un rapport du Stockholm International Peace Research Institute, SIPRI, qui fournit des données sur les dépenses militaires par pays depuis 1949.

Mais 6 ans plus tard, ces allocations sont passées à 18,3 % des parts dans le budget de l’Etat en 2022, à en croire les explications contenues dans la loi de finance 2023 publiée par les autorités.

Deux explications peuvent être trouvées à cela. D’abord, le Mali se sépare depuis quelques mois de ses partenaires qui étaient la force Européenne Takuba, et la mission des Nations Unies (Minusma).

Des éléments de la Coordination des Mouvements de l’Azawad en patrouille à Kidal.

L’autre explication est que le pays est dans sa deuxième phase de la loi de programmation militaire, qui est inscrite comme l’une des priorités des autorités entre 2019 et 2023.

Pour ce qui est de la période 2020-2023, l’axe lié à la défense a bénéficié de fonds allant de 479,6 milliards, à 530 milliards par an, selon les chiffres détaillés dans la loi de finance 2023.

Ce qui a représenté des parts tournant autour de 18 % de l’enveloppe budgétaire globale de chaque année.

Si l’on compare ces allocations financières de l’armée à celles de l’éducation et de la santé, on voit immédiatement la disparité.

En santé, le gouvernement a prévu de dépenser 670 milliards sur les quatre dernières années.

Sur la même période, une enveloppe de 1.694,7 milliards a été allouée pour le secteur de l’éducation, contre environ 1.552,6 pour le secteur de la défense, sans intégrer le ministère de la sécurité qui gère la police, et dont le budget augmente également, année après année.

À titre de comparaison, l’enveloppe de la santé est trois fois moins élevée que celle de la défense. L’éducation elle, représente en moyenne 2/3 des allocations disposées pour la défense, si on joint son enveloppe à celle de la sécurité nationale.

On peut en conclure sur la base de ces chiffres, que les budgets de défense ont pris le dessus sur les dépenses sociales, notamment sur les questions de la santé et de l’éducation.

Il faut juste préciser que ces données ne sont que des prévisions, qui peuvent, dans le cas pratique être revues à la baisse ou à la hausse, puisque les Etats sont réticents à publier les chiffres des affaires liées à la défense et à la sécurité.

Capitaine Ibrahim Traoré (debout) président de la transition du Burkina Faso.

Burkina Faso, la défense avant la santé

Voisin du Mali, le Burkina Faso entre dans le cycle de l’insécurité en 2015, quelques mois après le renversement du président Blaise Compaoré, fin 2014.

Mais avant, certainement en lien avec l’explosion de la violence chez son le voisin malien, le Burkina a accru son budget défense. À en croire une étude du Centre d’Information, de Formation et d’Etudes sur le Budget (CIFOEB), appuyée par Oxfam, publié en 2019, ces dépenses ont cru de l’ordre de 25,8 % entre 2013 et 2015, puis ont connu un autre bond de près de 49 % de 2016 à 2018.

En termes chiffrés, le budget de la défense est passé de 95,4 milliards en 2016 à 176,94 milliards de Francs CFA en 2018, avant de passer presqu’au double, pour s’estimer à 323,644 milliards en 2019.

Cette hausse se confirme, lorsqu’on observe les prévisions gouvernementales de 2021 à 2023. En additionnant les dépenses militaires sur les trois dernières années, le gouvernement a disposé 1237,4 milliards de francs CFA pour le ministère de la Défense.

L’année 2023 a représenté une nouvelle augmentation vertigineuse de 49 % en glissement annuel, par rapport à 2022, pour culminer à 657,7 milliards de Francs CFA.

Officiellement, cette hausse remarquable est dû au besoin d’équiper les forces de défenses et de sécurité.

C’est ce qu’a laissé entendre, fin septembre, le président de la transition, le capitaine Ibrahim Traoré au cours d’une interview diffusée à la télévision d’Etat.

Le pays « n’avait même pas deux cents kalachnikovs en réserve », à son arrivée à la tête de l’Etat a-t-il déclaré.

En plus de cela, le pays a lancé fin 2022 le recrutement de nouveau personnels notamment 11 000 militaires au profit de l’armée de terre, 3 000 gendarmes auxiliaires et 90 000 volontaire pour la défense de la patrie « tous équipés » selon le capitaine Traoré.

Leur prise en solde est contenu dans les 657,7 milliards prévu dans le budget du ministère de la défense pour le compte de cette année.

Si l’on compare seulement les dépenses de l’année 2022, on note que la défense et la sécurité ont surplombé la santé.

Avec un budget estimé à 416 milliards, soit à peu près 20 % du budget de l’Etat, les ministères de la Défense et de la Sécurité arrivent loin devant celui de la santé, qui s’en est tiré avec 301,8 milliards, environ 13,8 % des dépenses de l’Etat.

À l’inverse, l’Etat a semblé privilégier l’éducation à la défense. Bien que le secteur de l’éducation regroupe six départements ministériels, à savoir le préscolaire, le primaire, le post-primaire, le supérieur, la recherche scientifique, la formation technique et professionnelle, on note qu’ils ont obtenu 653,6 milliards de Francs CFA.

Ce qui représente 30 % des dépenses de l’Etat en 2022, bien au-delà des 20 % alloués à la défense et à la sécurité.

Des soldats nigériens en patrouille.

Quand le Niger privilégie l’Education

La situation du Niger, autre pays en conflit, ressemble à celle de son voisin le Burkina Faso.

À la lecture, la défense devient un véritable enjeu dans le budget de l’Etat nigérien entre 2016 et 2018, lorsqu’il a plus que doublé en deux ans, passant de 98 milliards en 2016, à 236 milliards en 2018.

En regardant les lignes de dépenses de l’Etat, on note une augmentation fluctuante des dépenses militaires.

Au cours des six dernières années, l’Etat a consacré 1441 milliards de francs CFA dans le budget du ministère de la Défense.

Bien qu’il y ait des années qui constituent une cassure, on observe une hausse constante qui fait qu’on est passé de 236 milliards en 2018, à 301 milliards en 2023, comme le montre ce tableau récapitulatif ci-dessous.

On note que dans les différents budgets, l’Etat a mis 1 861,6 milliards de Francs CFA, dans le financement de l’éducation, soit 400 milliards de plus que ce qu’il a investi sur les six dernières années, au registre de la défense.

Les pourcentages sur ce tableau peuvent ne pas coïncider avec les calculs réels. C’est un constat que BBC Afrique a fait. L’explication, c’est qu’il existe des années où l’Etat a fait des calculs sur des bases que nous ne maîtrisons pas. Il s’agit par exemple des années 2019, 2021 et 2022.

Dans les cas où nos propres calculs ont divergé, nous avons privilégié ceux de l’Etat, contenus dans leurs lois de finances.

Toujours est il, en comparant les budgets de l’Etat du Niger année après année, on se rend compte que l’éducation reste parmi ses trois premières priorités, avant la défense qui arrive entre le quatrième et le cinquième rang en fonction des années.

Par contre, le secteur de la santé reste un peu négligé. Avec à peu près 840 milliards en 6 ans, soit moins de la moitié du budget des trois ministères en charge de l’éducation, et un peu plus de la moitié de celui dédié à la défense.

Nous avons trouvé une piste qui pourrait expliquer ce déphasage entre la défense et la santé, un indice contenu dans la loi de finance 2016.A lire également sur BBC Afrique

L’année précédente, l’Etat a dû modifier à deux reprises le budget du ministère de la Défense, lui ajoutant environ 40,2 % de l’enveloppe globale prévue.

L’exposé des motifs de loi de finance 2016 explique que l’objectif était de « tenir compte de la détérioration du contexte sécuritaire notamment la guerre contre “Boko Haram. »

En 2015, le budget du ministère de la Santé (114,3 milliards) était de 15 milliards plus élevé que celui du ministère de la Défense.

Mais en 2016, le ministère de la Santé a perdu 22 % de son budget de l’exercice précédent, et s’est retrouvé 10 milliards en dessous de celui réservé à la défense. Depuis lors, la part du budget réservé à la santé n’a cessé de décroître.

D’ailleurs, la dernière ordonnance modifiant la loi de finance 2023, qui a réduit de 40 % le budget de l’Etat pour l’année en cours, à cause des sanctions qui ont suivi le coup d’Etat de juillet dernier, démontre à suffisance où se trouvent les priorités de l’Etat nigérien.

On remarque en lisant le document que le ministère de la Défense n’a perdu que 7,7 milliards, tandis que le secteur de l’éducation subissait une coupe drastique de 90 milliards. Alors que le ministère de la Santé était délesté de 24,4 milliards de Francs CFA.

Efforts supplémentaires par rapport aux voisins

En termes d’enveloppes budgétaires, les sommes dépensées peuvent paraître moindres, mais elles représentent des efforts énormes pour les gouvernements de ces pays en guerre, qui en plus, n’ont pas assez de ressources budgétaires.

Le SIPRI estime dans son rapport que les dépenses militaires ont cru de 5,1% en 2020. Ce qui représente l’une des plus grandes hausses des dix dernières années d’après l’institut Suédois. Cependant, les enveloppes de la santé et de l’éducation ont primé sur les budgets défense dans les pays en paix.

Au Sénégal, on note par exemple une enveloppe de 729,2 milliards consacrée aux deux ministères en charge de l’éducation, contre seulement 198,9 milliards pour le ministère des forces armées. Le pays a dépensé 3,6 fois plus pour l’éducation que pour la défense.

Avec une enveloppe de 701,7 milliards, le secteur de la santé a aussi bénéficié d’un budget 3,5 fois plus élevé que celui de la défense.

Dans le classement 2020 du SIPRI, la Côte d’Ivoire est le pays qui a dépensé plus d’argent pour sa défense en Afrique francophone, avec une enveloppe de 349,4 milliards de francs CFA. Mais, cette enveloppe est restée 3,4 fois moins élevée que les 1.215,7 milliards consacrés aux deux ministères en charge de l’éducation.

On remarque aussi qu’il reste de 96 milliards inférieurs à celui consacré au ministère de la Santé. C’est dire que, bien que les budgets militaires ont augmenté dans les deux pays en paix que nous prenons pour exemple, les dépenses de santé et d’éducation sont restées supérieures.

Le tableau ci-dessus démontre que les pays en paix ont plus de moyens à consacrer aux secteurs sociaux comme la santé et l’éducation, contrairement à leurs voisins minés par l’insécurité, qui malgré leurs recettes budgétaires faibles, sont souvent obligés de privilégier le financement de la sécurité nationale, au détriment de la santé des populations.

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