Le 16 septembre dernier, le Mali, le Niger et le Burkina Faso ont signé la charte du Liptako-Gourma instituant ainsi une nouvelle alliance entre ces trois Etats du Sahel.
En plus de partager la même zone géographique du Sahel, les trois états voisins sont, non seulement dirigés par des militaires, mais font face à la même menace des groupes djihadistes. C’est ainsi que le Mali, le Burkina Faso et le Niger décident de mutualiser leurs forces afin de faire face aux défis qu’ils partagent.
Pourquoi le Liptako-Gourma ?
Le Liptako-Gourma « est à cheval entre trois pays, à savoir le Burkina Faso, le Mali et le Niger. Dans sa forme actuelle, je pense qu’il couvre une superficie de trois cent soixante-dix kilomètres carrés, un espace économique qui dispose d’énormes potentialités agropastorales et minières », affirme Ousmane Amirou Dicko, émir du Liptako joint par la BBC.
Il dirige un émirat traditionnel situé au nord-est du Burkina Faso et fondé vers les années 1809-1810.
La région Liptako est depuis quelques années, en proie à l’insécurité du fait de la présence de groupes armés. La région correspond par ailleurs à la zone des trois frontières qui échappe toujours au contrôle des Etats centraux.
« La population étant isolée, bloquée, est essoufflée à cause de la pression de plus en plus forte sur les moyens économiques et de consommation. Les gens ont vu tous leurs moyens se réduire jusqu’à disparaître complètement. Les prix des biens de consommation flambent alors que les denrées deviennent inaccessibles », confie l’émir Dicko.
Quels sont les objectifs de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) ?
La charte du Liptako-Gourma qui comporte 17 articles, a pour objectif principal « d’établir une architecture de défense collective et d’assistance. »
Les parties prenantes de l’AES s’engagent par ailleurs à « lutter contre le terrorisme sous toutes ses formes et la criminalité en bande organisée dans l’espace commun de l’Alliance », peut-on lire dans le document consulté par la BBC.
Au-delà de la lutte contre le terrorisme et les bandes armés, les Etats de l’AES s’engagent à assister leurs membres en cas d’attaques extérieures. Une formalisation qui ne dit pas son nom de la décision du Mali et du Burkina Faso de secourir le Niger en cas d’intervention militaire de la CEDEAO.
En effet, l’organisation régionale a affirmé n’exclure aucun moyen pour rétablir le président Bazoum, déchu de ses fonctions et détenu par les militaires au pouvoir.
Selon Mouhamadou Lamine Bara Lo, spécialiste des questions de politique étrangère, défense et sécurité, « la création de cette organisation est la suite logique des soubresauts et de l’activisme qu’on a remarqués dans l’espace du Sahel. »
« Il faut comprendre que c’est une manière également d’anticiper sur la protection de notre propre régime. Ensuite, c’est une manière aussi d’anticiper sur la menace commune qui existe déjà », affirme M. Lo.
Mohamed Maiga, ingénieur des politiques sociales et politiques publiques, renchérit en expliquant que si la création de l’AES est une sorte de réponse aux menaces de la CEDEAO, elle se justifie également par l’échec du G5 Sahel.
« Le G5 Sahel, il faut le rappeler, est une organisation qui devait initialement lutter contre la problématique sécuritaire. Seulement, cette organisation a été un échec », affirme M. Maiga.
Quels sont les défis de l’AES ?
Le péril djihadiste sévit principalement au Mali, au Niger et au Burkina Faso. Toutefois, il menace également les autres pays ouest africains. Le Bénin, par exemple, a subi plusieurs attaques dans la partie nord du pays. La progression des groupes suggère qu’ils comptent s’étendre également vers les pays côtiers. Dans sa charte, l’AES, n’exclut pas de nouvelles adhésions de la part de pays qui partagent les mêmes réalités.
Mouhamadou Lamine Bara Lo, affirme que l’un des défis de l’AES dans sa lutte contre la menace terroriste et le crime organisé est celui des moyens. L’Alliance doit, selon M. Lo, renforcer ses capacités militaires afin de faire face à ces menaces hybrides. « Ce qui est le plus important pour un État au Sahel, c’est de disposer d’un appui aérien, mais ensuite d’un appui en renseignement », poursuit Mouhamadou Lamine Bara Lo.
De son côté, Mohamed Maiga rajoute l’aspect financier qui est également fondamental pour la pérennité même de l’AES. « Est-ce que ces États vont finalement pouvoir mobiliser ensemble, mutualiser leurs ressources et faire face à la situation pour faire en sorte que cette organisation résiste et ne meure pas, sachant que les soutiens, il n’y en a pas beaucoup ? », s’interroge M. Maiga.
« Le financement de l’Alliance est assuré par les contributions des Etats parties », peut-on lire dans l’article 10 de la charte du Liptako-Gourma.
La question du financement a d’ailleurs été un des boulets du G5 Sahel, une organisation créée en 2014 par la Mauritanie, le Mali, le Burkina Faso, le Niger et le Tchad. Sans mandat de l’Onu, donc ne recevant pas de soutien financier des nations unies, la force conjointe du G5 Sahel mise en place pour lutter contre les djihadistes dans la région peine à mobiliser les ressources pour atteindre ses objectifs.
« Et l’autre élément, ce sera un tutorat international, parce que dans le Sahel, c’est la France qui joue ce rôle de tuteur. On a vu les tensions avec la France. Et les trois pays, certes, avec toute la volonté qu’il faut, ont besoin de ce tutorat, déjà pour pouvoir agir et avoir un soutien sur les grandes affaires internationales », affirme M. Lo.
L’Alliance a-t-elle des chances de survivre ?
Selon les deux spécialistes contactés par la BBC, l’AES a effectivement des chances de survivre.
Néanmoins, Mouhamadou Lamine Bara Lo rappelle qu’il ne faudrait pas surestimer ses capacités ou son potentiel. «Elle a des chances de survivre parce qu’il y a des intérêts réels présents qui peuvent pousser à sa réussite » ajoute-il.
Pour lui, le contexte impose une mutualisation des forces des trois pays membres. Cependant, M. Lo tient à rappeler que le G5 Sahel a également essayé de mettre en place une force conjointe sans réel succès.
En effet, le Niger et le Burkina Faso qui été tous deux membres du G5 Sahel, ont à leur tour annoncé leur retrait de la force internationale. L’organisation a déjà été affaiblie par le retrait du Mali. Le président Bazoum affirmait d’ailleurs que le retrait du Mali annonçait la mort de l’organisation.
Le Tchad et la Mauritanie ont pris acte, à travers un communiqué conjoint, de la décision prise le 1er décembre par le Niger et le Burkina Faso de se retirer du G5 Sahel. L’article 20 de la Convention portant création de cette organisation dit que « le G5 Sahel peut être dissous à la demande d’au moins trois États membres ».
« Le Mali, en se retirant, a créé une discontinuité territoriale. La Mauritanie qui est membre du G5 Sahel était carrément excentrée et déconnectée des autres pays », affirme Mouhamadou Lamine Bara Lô.
Mohamed Maiga estime pour sa part que « c’est seulement avec le temps qu’on pourra juger et aussi avec les réelles capacités de déploiement d’opérationnalisation de l’Alliance des Etats du Sahel.»
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