RDC: le travail des églises consiste à s'opposer au régime qui est en place?

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La République démocratique du Congo est l’un des pays qui compte le plus de fidèles catholiques en Afrique subsaharienne, avec un nombre estimé à près de 50 millions sur les quelque 100 millions d’habitants.

Bien qu’étant un État laïc, la religion est toutefois omniprésente dans la société et continue d’avoir une forte influence dans la vie publique.

L’Église catholique a toujours été, depuis l’époque coloniale, l’un des piliers du système politique et social congolais.

Depuis des décennies, elle a exercé son rôle de contre pouvoir, s’imposant comme un allié incontournable de l’État central, se substituant à lui dans des domaines sociaux essentiels tels que l’éducation, la santé et la préservation de la paix.

Quand la situation l’exige, elle se mue en acteur politique afin de préserver la démocratie et de veiller à ce que l’espace politique soit apaisé et que le jeu soit respecté par toutes les parties prenantes.

Un rôle qui lui vaut une puissante influence et lui donne une légitimité historique et populaire.

À la veille de l’élection présidentielle du 20 décembre 2023, l’Église catholique veut naturellement user de son influence et de son aura pour peser sur la transparence du processus électoral et faire respecter la volonté du peuple.

PRÉSIDENCE DE LA RÉPUBLIQUE DE LA RDC

Le rôle historique de l’Église en RDC

La RDC est un pays où la religion est présente dans tous les segments de la société et de la vie publique. Selon les estimations du Vatican, le pays compte environ 49% de catholiques35% de protestants et de fidèles affiliés aux Eglises de réveil, 10% de kimbanguistes (Église chrétienne née au Congo) et une minorité de musulmans (10%).

Pour comprendre l’influence de l’Église catholique dans la vie sociale congolaise en général et dans le jeu politique en particulier, et ce en dépit de l’émergence des Églises évangéliques, il faut remonter aux premières heures de son histoire.

L’Église catholique a été introduite en RDC par les missionnaires belges au XIXe siècle. Depuis lors, elle s’est développée en tant qu’institution influente, devenant un acteur social de premier plan. L’Église est le premier partenaire de l’Etat dans les domaines de l’éducation et de la santé, compensant le manque de services publics par son réseau d’hôpitaux, de centres sociaux et d’écoles de renom, qui ont formé de nombreux leaders congolais.

Selon la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), l’Église catholique gère aujourd’hui 18 638 écoles au total dont 12 616 écoles primaires, 724 écoles maternelles, 5 298 écoles secondaires qui accueillent plus de 4,3 millions d’élèves encadrés par 161 337 enseignants.

Cette influence s’est également étendue jusque sur le terrain politique.

L’immixtion de l’Église dans la sphère politique remonte aux premières heures de l’indépendance en 1960. Elle a traversé les époques jusqu’à la période de vive tension dans les années 90. Le poids de l’Église catholique aura été décisif dans les négociations politiques ayant ouvert la voie vers le multipartisme.

Mgr Laurent Monsengwo, alors archevêque de Kisangani (nord-est), s’est impliqué personnellement pour renouer le fil du dialogue politique et permettre d’aboutir à des consensus forts.

Visite du Pape François à Kinshasa en Février 2023.

Des décennies de lutte pour la démocratie

Au cours des trois dernières décennies, la CENCO a continué à suivre de près la situation sociopolitique locale. Très en vue durant les moments critiques, elle est souvent montée au créneau pour dénoncer des fléaux très présents dans la culture politico-administrative congolaise tels que la corruption, la mauvaise gouvernance et les abus des autorités.

La CENCO s’est bâtie une solide réputation et une crédibilité reconnue de tous les acteurs politiques, ce qui lui a permis à plusieurs reprises de jouer un rôle de médiateur dans les conflits qui ont suivi la fin du régime de Mobutu.

L’Église catholique s’est impliquée dans l’organisation des élections nationales avec ses propres observateurs, et a rappelé avec insistance la nécessité de garantir l’indépendance effective de la Commission Nationale Electorale (CENI) pour éviter les contestations qui ont ponctuellement suivi chaque tour électoral.

Le cardinal Laurent Monsengwo Pasinya était reconnu pour avoir joué son rôle d’ambassadeur de la paix et de justice, tout en incarnant des valeurs de développement et de démocratie

Décédé en 2021, le Cardinal Laurent Monsengwo Pasinya, aura été l’une des figures emblématiques de l’Église catholique en RDC.

De nombreux Congolais se souviennent de lui comme d’un champion des droits humains et d’un critique acharné des différents gouvernements post-indépendance depuis 1960.

Les résultats des combats de Laurent Monsengwo Pasinya ont commencé à se faire sentir sous le régime de l’ancien président Mobutu Sese Seko dans les années 1990.

La même année, il initie un mémorandum demandant plus de libertés au maréchal Mobutu, qui était au pouvoir depuis 30 ans sous un régime monopartite.

À ce titre, il est considéré par une partie des Congolais comme l’une des personnes ayant contribué à pousser le pays vers ses premiers pas démocratiques.

Après Mobutu, le cardinal se montre critique face au pouvoir de Joseph Kabila.

En janvier 2018, Laurent Monsengwo, alors archevêque de Kinshasa, a marqué les esprits avec sa célèbre phrase adressée aux autorités de l’époque au lendemain de la brutale répression policière de la marche du 31 décembre 2017 : “Que les médiocres dégagent !”

La CENCO a également promu des initiatives concrètes pour éduquer les citoyens congolais aux valeurs de la paix et de la démocratie, et pour encourager les fidèles laïcs à participer activement à la vie politique nationale.

En 2006, pour les premières élections présidentielles démocratiques au Congo, l’Église a dirigé la commission électorale nationale indépendante et assuré l’observation électorale.

Dix ans plus tard, en 2016, à la fin du deuxième mandat de l’ancien président Joseph Kabila (2001-2018), c’est encore l’Église qui va accompagner le peuple pour exiger le respect du délai constitutionnel dans l’organisation de nouvelles élections.

Une Église influente

Le pape François s’entretient avec l’ancien président Joseph Kabila, lors d’une visite au Vatican, le 26 septembre 2016.
Des évêques membres de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) lors d’une rencontre avec des représentants de l’ONU à Kinshasa, le 12 novembre 2016.

L’influente Église catholique a une longue histoire de promotion de la démocratie et de surveillance des élections dans le pays.

Cette année, pour la première fois, la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) s’est associée à l‘Église du Christ du Congo (ECC), une union de 64 dénominations protestantes et évangéliques pour veiller au bon déroulement des opérations électorales.

Au total, soixante mille observateurs seront déployés dans tout le pays. Il s’agit, selon le Révérend Eric Senga, Secrétaire général et porte-parole de l’église du Christ au Congo, de garantir que les élections sont transparentes, crédibles et démocratiques.

“Pour nous, des élections transparentes, crédibles et démocratiques, ce sont des élections dont les opérations obéissent aux normes légales et constitutionnelles d’une part, et des pratiques universellement reconnues en tant que bonnes pratiques en matière de démocratie (…) La transparence pour nous, c’est le fait de mettre l’information sur la place publique pour que le peuple ou les citoyens s’assurent de ce qui est fait est l’expression de leur volonté. Donc pour nous, les concepts de transparence renvoient à la capacité de mettre l’information sur la place publique pour que chacun ait le même niveau d’information et que chacun s’assure que son droit a été respecté. Le droit d’avoir mon nom correctement écrit, le droit de figurer dans un fichier électoral parce que enrôlé comme citoyen, le droit de voter parce que j’ai réuni toutes les conditions, parce que nous voulons qu’in fine, les résultats qui seront publiés soient également acceptés. On ne veut plus assister à des histoires, du genre vérités des urnes, contestation. C’est comme ça que nous voulons que ces résultats soient apaisés et que la population aussi, qui va y participer, ne se lance pas dans les guerres de religions, de politique, de tribalisme. “

Contre-pouvoir et non contre le pouvoir

Révérend Éric Nsenga, Secrétaire général et porte-parole de l’Église du Christ au Congo.

Cette immixtion des religieux dans le jeu politique n’est pas toujours exempte de reproche, surtout si les évêques donnent l’impression de rouler pour une des parties au détriment de l’autre. Mais pour le Révérend Eric Senga, le travail des églises n’a qu’une seule finalité : s’assurer que la volonté du peuple est respectée.

“Je voudrais souligner ceci : il ne faut pas que l’on pense que le travail des églises consiste à s’opposer au régime qui est en place. Ce qui importe pour nous, c’est la transparence et au final, les résultats issus des urnes doivent refléter l’expression de la volonté du peuple”, déclare le Révérend-Pasteur Éric Nsenga, porte-parole de l’Église du Christ au Congo.

” Je peux avoir choisi X, mais c’est Y qui sort. S’il a gagné à la régulière, pourquoi contester? Le président qui est en place peut gagner régulièrement. Il ne faut pas s’attendre que nous venions contester pour le simple plaisir de le faire. Non, nous ne sommes pas là pour dire qui doit être président, qui ne doit pas l’être. Ce n’est pas nous qui apprécions par un jugement quelconque la valeur ou l’importance des candidats. Ça, c’est la souveraineté. C’est le peuple qui doit trancher. Nous, notre rôle c’est nous assurer que les procédures utilisées par la CENI sont conformes à la loi et que les résultats qui en découlent reflètent la volonté du peuple. Si le meilleur gagne, c’est ça la victoire de la démocratie. Nous luttons pour sauver la démocratie, sauver la justice, sauver la vérité et aussi, par-delà tout, sauver l’unité nationale et donner la légitimité aux institutions de notre pays pour une certaine respectabilité. Nous ne voulons pas qu’un président d’un pays vienne donner des leçons à notre président ici ou commencer à contester sa légitimité, simplement parce qu’il y a eu un débat autour des publications, des résultats “, poursuit le représentant de l’Église protestante.

De la Conférence Nationale Souveraine de 1992 aux manifestations autour du processus électoral de entre 2016 et 2019, les religieux ont joué un rôle crucial dans la lutte pour la démocratie congolaise.

À côté de la très influente Conférence épiscopale nationale du Congo, les autres confessions et églises évangéliques jouent leur partition dans la voie de la démocratie et de la paix.

L’Église du Réveil du Congo, compte matérialiser cet engagement par l’intermédiaire de ses différentes structures qui sont très actives en termes de plaidoyer, mais aussi de sensibilisation et d’observation électorale, à en croire l’ archevêque Evariste Ejiba Yamapia, président et représentant légal de l’Église du Réveil du Congo.

Archevêque Evariste Ejiba Yamapia, Président et représentant légal de l’Église du Réveil du Congo.

“Oui, nous, en tant qu’Église du Réveil du Congo, nous travaillons sur différents aspects. Le premier, c’est la sensibilisation des électeurs parce que l’expérience nous montre qu’il y a eu engouement en 2006 et beaucoup de gens avaient la soif de voter. Et puis cet engouement a essayé de demeurer en 2011, mais en chutant un peu. Et puis, arrivé en 2018 je crois que les chiffres ne vont pas me contredire, il y a eu une baisse d’engouement parce que pour les uns, ils pensaient que la messe est déjà dite, pourquoi irais-je voter ? Pour les autres, ils disent bon, ceux-là à qui nous avons fait confiance, ils n’ont rien fait. Voilà pourquoi nous, en tant qu’église, nous sensibilisons notre peuple. Nous disons non, ne reste pas à la maison. Voter, c’est ton droit constitutionnel et c’est là la première chose. La deuxième, nous disons qu’il faut un vote responsable, c’est-à-dire un vote qui n’est pas juste basé sur le tribalisme ou sur le fait d’apprécier la personne sans savoir ce qu’elle peut apporter à la nation. Nous disons également que le vote responsable auquel nous appelons le peuple, c’est aussi cette façon de s’engager en faisant ce que nous appelons la surveillance électorale. Cette surveillance, c’est une façon de montrer les différents éléments liés au processus électoral. “

Martin Fayulu et son épouse lors d’un service religieux à la cathédrale Notre-Dame-de Kinshasa, le 29 décembre 2018.

De la Conférence nationale souveraine de 1992 aux manifestations autour du processus électoral entre 2016 et 2019, l’Église catholique, à travers la CENCO, a joué un rôle crucial dans la lutte pour la démocratie en RDC.

Tout en restant dans les limites de leur rôle, les Églises en RDC s’expriment régulièrement sur tous les aspects de la vie socio-économique et politique du pays.

Ces dernières années, les évêques congolais ont réitéré leurs appels à la paix dans les provinces de l’Est en proie à un conflit armé, déplorant la présence de forces étrangères qui continuent à déstabiliser la région par la violence et à exploiter illégalement ses innombrables richesses minières, dont certaines indispensables pour la fabrication d’appareils électroniques.

Au fil des années, l’Église catholique s’est imposée comme une institution respectée et influente dans la société congolaise, qui conserve sa crédibilité et son rôle de contrepoids important dans les batailles que se livrent pouvoir et opposition.

L’émergence des églises évangéliques vient confirmer ce poids historique et l’influence que continue d’avoir la religion dans la marche de la société congolaise.

L’important rendez vous électoral de 2023 ne déroge pas à la règle pour une église considérée comme « la plus grande Église catholique d’Afrique ».

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