Dans un discours à la nation, le président de la République du Sénégal, Macky Sall, a pris la décision par décret, de reporter l’élection présidentielle du 25 février. Une première dans l’histoire politique du Sénégal.
Alors que le lancement officiel de la campagne électorale était prévu pour ce dimanche 4 février, la validation par le bureau de l’Assemblée nationale, samedi 3 février, de la proposition de loi du Parti démocratique sénégalais (PDS) pour le report du scrutin et la décision du chef de l’Etat Macky Sall, ont scellé le report de l’élection Présidentielle de 2024. Une décision qui sucite des inquiétudes dans la communauté internationale.Lire aussi :
Les inquiétudes de la communauté internationale
L’annulation des élections prévues ce mois de février par le président Macky suscite beaucoup de réactions aussi bien au niveau national qu’international.
En réaction à l’annonce du chef de l’Etat sénégalais, plusieurs candidats parmi les 20, qui sont autorisés par le Conseil constitutionnel à cette présidentielle, ont annoncé qu’ils vont démarrer leur campagne électorale comme initialement prévue, ce dimanche.
Au plan international, la situation politique au Sénégal suscite l’inquiétude.
“La Commission de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest a pris note de la décision des autorités sénégalaises de reporter les élections présidentielles prévues pour le 25 février 2024”, a indiqué la CEDEAO dans un communiqué.
La Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a exprimé son inquiétude face à la décision des autorités sénégalaises de reporter le scrutin qui était prévue pour le 25 février 2024. Dans un communiqué publié samedi soir à Abuja, la CEDEAO a exhorté l’ensemble de la classe politique sénégalaise à privilégier le dialogue et la collaboration pour des élections transparentes, inclusives et crédibles.
Les dirigeants du bloc régional ont également appelé “les autorités compétentes à accélérer les différents processus” afin de fixer une nouvelle date pour les élections. La CEDEAO a en outre félicité le président sénégalais, Macky Sall, pour avoir respecté sa décision antérieure de ne pas briguer un autre mandat et l’a appelé à continuer à défendre et à protéger la longue tradition démocratique du pays.
Les États-Unis et la France ont également lancé des appels pour le respect du calendrier républicain, après l’annonce faite samedi par le président Macky Sall.
Le ministère français des affaires étrangères a exhorté les autorités sénégalaises à mettre fin à l’incertitude concernant l’élection présidentielle qui devait avoir lieu dans trois semaines. Il a demandé que l’élection se tienne dans les plus brefs délais.
En vertu du code électoral sénégalais, 80 jours au moins doivent s’écouler entre la publication du décret et l’élection, ce qui signifie que celle-ci ne pourra avoir lieu au plus tôt qu’à la fin du mois d’avril.
C’est la première depuis son indépendance en 1960 qu’un scrutin présidentiel est repoussé au Sénégal, réputé pour sa stabilité politique pour avoir connu quatre transitions pacifiques du pouvoir par les urnes.
Qu’est-ce qui s’est passé ?
A la suite d’un recours de contestation déposé au Conseil constitutionnel contre la double nationalité de Karim Wade, par Thierno Alassane Sall, leader de la République des Valeurs, le groupe parlementaire Démocratie, Liberté et Changement avait déposé une proposition de loi pour le report de la présidentielle.
Une démarche appréciée par fils de l’ancien président Abdoulaye Wade. Karim Wade, du Qatar où il est en exil depuis plusieurs années, a réagi sur le réseau social X.
“Je soutiens totalement cette initiative parlementaire qui vise à corriger les graves défaillances de notre système électoral. Cette proposition de loi permettra de réparer le préjudice subi par plus de 40 candidats écartés de l’élection présidentielle. J’appuie sans réserve cette initiative et je demande aux militants du Parti démocratique sénégalais (PDS), à nos alliés et aux millions de Sénégalais qui se battent à mes côtés de soutenir à leur tour ce report”, a-t-il souligné.
Après avoir examiné le projet de résolution visant la constitution d’une Commission d’Enquête parlementaire, en vue d’éclaircir les conditions de l’élimination du candidat recalé du PDS, le Bureau de l’Assemblée nationale a validé ladite proposition de loi.
Ce qu’a dit le PR à la suite de l’adoption de la proposition par le bureau de l’Assemblée nationale
Le président Macky Sall a décidé de ne pas convoquer le corps électoral pour la présidentielle de février 2024.
“… compte tenu des délibérations en cours à l’Assemblée nationale réunie en procédure d’urgence, et sans préjuger du vote des députés, j’ai signé le décret n° 2024-106 du 3 février 2024 abrogeant le décret n° 2023-2283 du 29 novembre 2023 portant convocation du corps électoral”.
Dans son discours, le président sénégalais a évoqué un différend entre l’Assemblée et le Conseil constitutionnel.
“Alors que s’annonce l’élection présidentielle du 25 février 2024, notre pays est confronté, depuis quelques jours, à un différend entre l’Assemblée nationale et le Conseil constitutionnel, en conflit ouvert sur fond d’une supposée affaire de corruption de juges”, a déclaré le président Macky Sall dans son adresse à la nation.
Le président Sall a aussi évoqué le cas de la candidate Rose Wardini, interrogée et placée en garde à vue après des révélations sur sa binationalité française et sénégalaise ont fait surface.
Selon lui, “ces conditions troubles pourraient gravement nuire à la crédibilité du scrutin en installant les germes d’un contentieux pré et postélectoral”.
“Alors qu’il porte encore les stigmates des violentes manifestations de mars 2021 et de juin 2023, notre pays ne peut pas se permettre une nouvelle crise”, rappelle Macky Sall.
“J’ajoute qu’en ma qualité de Président de la République, garant du fonctionnement régulier des Institutions, et respectueux de la séparation des pouvoirs, je ne saurais intervenir dans le conflit opposant le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire”, dit-il.
Crise institutionnelle sur fonds de soupçons
Le 24 janvier, les députés du Parti démocratique sénégalais, dont le candidat Karim Wade a été invalidé pour cause de double nationalité après avoir passé avec succès l’étape des parrainages, ont déposé une demande de mise sur pied d’une commission d’enquête parlementaire. « Nous ciblerons les problématiques de conflits d’intérêts, de corruption présumée, de violations flagrantes et manifestes du secret des délibérations du Conseil constitutionnel et de collusion entre certains membres dudit Conseil et des candidats », indique un communiqué du parti publié le mercredi 24 janvier.
Le 31 janvier, la demande du groupe parlementaire du PDS, appuyée notamment par les députés de la coalition Benno Bokk Yaakar au pouvoir, est votée à la majorité des députés présents : 120 pour et 24 contre.
Sur son compte Twitter, Karim Wade se félicite d’une « victoire décisive contre un coup d’état électoral. »
Plus loin, il exige « l’instauration d’une Cour constitutionnelle véritablement indépendante »
Les membres du Conseil constitutionnel ont dénoncé, à travers un communiqué publié le lundi 29 janvier, des « accusations graves et infondées de corruption, conflits d’intérêt et connexions douteuses » contre certains de ses membres.
Ils appellent à l’éclatement de la vérité et mettent en garde contre une déstabilisation des institutions et une menace sur la paix publique.
En conclusion, le Conseil constitutionnel dit « continuer à exercer toutes les missions qui lui sont dévolues par la Constitution et les lois de la République », peut-on lire dans le document.
Ce samedi 3 février, à quelques heures de l’annonce du président de la République, l’Assemblée nationale adopte la proposition de loi du report de l’élection déposée la veille par le groupe parlementaire dirigé par le PDS.
Controverse autour du contrôle des parrainages
Le contrôle des parrainages a suscité beaucoup de débats au Sénégal.
Plusieurs candidats ont été recalés par le Conseil constitutionnel. C’est alors qu’un collectif composés des différents candidats recalés a été constitué. Ils ont dénoncé le 7 janvier des irrégularités ayant conduit à leur recalage injustifié.
Parmi eux, l’ancienne Première ministre Aminata Touré qui a validé 38 820 parrains sur le minimum requis de 44 231, a crié au scandale en signalant que sa clé de parrainage a été manipulée. Sur sa page Facebook, elle s’est adressée à ses militants de Mimi2024.
“…Vous avez fait un parrainage de bonne qualité car malgré le vol de nos parrains de toute la région de Saint-Louis et la suppression de 10.400 de nos parrains (soit disant non reconnus dans le fichier que la CENA a avoué n’être pas à jour ), ils nous reconnaissent quand-même 38.820 parrains validés”, a-t-elle réagi.
C’était aussi le cas Mouhamed Ben Diop dont la candidature a aussi été rejetée. Présent sur les listes électorales aux élections législatives de 2022, il ne pouvait comprendre que deux ans après, son nom ne figure pas sur lesdites listes.
“Comment peut-on être électeur pour un scrutin et être soudainement non identifié dans le fichier pour un autre ?”, avai-il souligné dans un communiqué.
Ils estimes que plusieurs centaines de milliers d’électeurs sont privés de leur droit citoyen et dénoncent une volonté délibérée de fausser le jeu électoral.
La question de la double nationalité
C’est de Thierno Alassane Sall de la République des Valeurs qu’est partie la polémique. C’est en effet lui qui a attiré l’attention du Conseil Constitutionnel sur la double nationalité de Karim Wade.
“Selon diverses sources, Karim Wade, candidat à l’élection présidentielle, serait toujours détenteur de la nationalité française, ce qui est en contradiction avec la Constitution de notre pays. Notre Loi fondamentale dispose que tout candidat à la magistrature suprême doit exclusivement être de nationalité sénégalaise”, a alerté Thierno Alassane Sall, dans un communiqué.
Estimant que Karim Wade détenait sa nationalité française au moment de déposer sa candidature, le Conseil constitutionnel avait invalidé sa candidature.
“La récente décision du Conseil constitutionnel est scandaleuse, c’est une atteinte flagrante à la démocratie. Cette décision est fondée sur des prétextes fallacieux. Elle viole mon droit fondamental de participer à l’élection présidentielle du 25 février 2024, alors que j’ai depuis longtemps renoncé à ma nationalité française”, a réagi Karim Meïssa Wade sur son compte X.
Après le dévoilement de la présence de la candidate Rose Wardini sur les listes électorales françaises, la question de sa double nationalité a aussi été agitée.
Convoquée par la Division des investigations criminelles (DIC) pour être entendue sur cette affaire, elle a été gardée à vue.
L’article 28 de la Constitution du Sénégal dispose que “tout candidat à la Présidence de la République doit être exclusivement de nationalité sénégalaise”.
Un candidat en prison et une candidate en garde à vue
Bassirou Diomaye Faye, candidat à la présidentielle sous la bannière de la Coalition Sonko Président, par ailleurs secrétaire général du Pastef dissout est arrêté le 14 avril 2023.
Il est depuis lors placé sous mandat de dépôt pour diffusion de fausse nouvelle, outrage à magistrat et diffamation envers un corps constitué, à la suite d’un post sur Facebook.
C’est la première fois dans l’histoire politique du Sénégal qu’un candidat à la présidentielle se trouve en détention à quelques jours de l’ouverture de la campagne électorale.
Récemment, dans une vidéo pré-enregistrée en date de juillet 2023, Ousmane Sonko, leader du Pastef-Les Patriotes en prison et recalé à la présidentielle de février 2024, a donné sa consigne de vote pour Bassirou Diomaye Faye, candidat à la présidentielle sous la bannière de la Coalition Sonko Président.
Rose Wardini, présidente du mouvement “Sénégal Nouveau”, et candidate à la présidentielle est aussi placée en garde à vue en fin de semaine.
L’opacité relative au fichier électoral qui n’est pas encore disponible
Au Sénégal, l’opacité autour du fichier électoral est dénoncée par les acteurs politiques. Accusée de detenir le fichier électoral Mimi Touré avait démenti.
En 2005-2006, à la suite de la refonte du fichier électora, il est né au Sénégal des controverses sur la fiabilité du fichier électoral.
Tous les acteurs politiques décrient des problèmes et des failles qui doivent être corrigés.
En 2007, Benno Siggil Sénégal avait boycotté les élections législatives du 3 juin sur la base de l’opacité du fichier électoral.
Ce contentieux électoral n’est pas réglé de nos jours.
A quoi peut-on s’attendre maintenant ?
Dans son discours, le Président Sall n’a pas annoncé de date pour la tenue de l’élection.
En lieu et place, il a fait mention de la tenue d’un dialogue national sans épiloguer sur la date ou les contours d’un tel dialogue.
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