Dans le petit pays d’Afrique centrale, 75 % des ménages rwandais ont désormais accès à l’énergie, contre 6 % il y a quinze ans.
De la navette qui fend les eaux tranquilles du lac Kivu, difficile d’imaginer ce qui se trame dans les profondeurs. Pourtant, l’activité est intense sous la surface. A 6 kilomètres de la côte rwandaise, quatre plates-formes flottantes pompent en continu le gaz méthane retenu au fond de ce bassin de 2 700 kilomètres carrés, pour le transformer en électricité.
Officiellement mis en service début 2024, le projet Shema Power Lake Kivu (SPLK), fruit d’un partenariat entre l’Etat rwandais et l’investisseur britannique Highland Power, produit 56 mégawatts (MW) destinés au réseau local. A lui seul, il fournit un quart de l’énergie consommée au Rwanda, selon les données de l’entreprise. « Nous sommes maintenant le principal producteur d’électricité du pays, s’enorgueillit la directrice exécutive, Shruti Aggarwal. Et nous remplissons une deuxième mission en contribuant à réduire le danger que représentent ces gaz très nocifs. »
Car les caractéristiques géologiques et chimiques du lac Kivu, frontière naturelle entre le Rwanda et la République démocratique du Congo (RDC), perchée à près de 1 500 mètres au-dessus du niveau de la mer, en font d’abord une menace pour ses quelque 2 millions de riverains. Si elles venaient à s’échapper, les immenses quantités de méthane et de dioxyde de carbone (CO2) piégées au fond de ses eaux bleutées pourraient provoquer un désastre.
La vigilance de mise
Un scénario du pire que ne peut exclure cette zone sismique qui abrite huit volcans, dont deux en activité. Depuis la ville toute proche de Gisenyi, la silhouette majestueuse du Nyiragongo se distingue nettement. En mai 2021, ce volcan situé côté congolais s’est réveillé, laissant craindre un déversement massif de lave brûlante dans le lac. « Les centaines de secousses qui ont suivi nous ont aussi beaucoup inquiétés », se souvient Maximilien Byilingiro, le responsable de la centrale. In fine, aucun gaz n’est remonté.
Mais la vigilance reste de mise. Le site de SPLK est truffé de détecteurs en cas d’éventuelle fuite. « Le méthane est très inflammable, le CO2 peut vous asphyxier, le dihydrogène rend aussitôt malade », énumère la responsable de la sécurité au visiteur de passage. Un autre lac « explosif », celui de Nyos au Cameroun, a été le théâtre d’une éruption limnique en 1986. Le nuage empoisonné a fait 1 700 victimes.
Grâce à l’extraction régulière du méthane, le Rwanda espère diminuer les risques. Et tirer le meilleur parti de cette ressource potentiellement mortelle. Après avoir lancé dès 2010 une plate-forme pilote sur le Kivu, l’Etat a encouragé des investisseurs privés à développer d’autres centrales d’une capacité industrielle. Un premier projet nommé « Kivuwatt », piloté par l’entreprise américaine ContourGlobal, produit 26 MW depuis 2016, auxquels s’ajoute désormais l’électricité générée par SPLK.
Un succès qui pèse lourd
Le méthane est un axe central de l’ambitieuse feuille de route élaborée par le gouvernement rwandais en matière d’énergie. L’objectif initial visait d’atteindre en 2024 un accès universel à l’électricité. Finalement, « seulement » 75 % des ménages du pays sont aujourd’hui raccordés. Mais ils étaient à peine 6 % il y a quinze ans. Comme le souligne une note récente de la Banque mondiale, « cette expansion de l’électrification a été l’une des plus rapides au monde entre 2010 et 2020 ». Un effort censé soutenir le développement de cet Etat dont le produit intérieur brut croît d’environ 7 % par an depuis plus d’une décennie.
La médaille a aussi son revers. « Sur les 75 % de Rwandais connectés à l’électricité, 15 % ne l’utilisent pas », souligne un connaisseur du secteur qui préfère rester anonyme. Champion de la croissance, le Rwanda n’en demeure pas moins un pays majoritairement rural, dont le PIB par habitant n’était que de 958,40 dollars (environ 890,90 euros) en 2022. « C’est un grand succès en matière de disponibilité d’électricité, mais si la demande ne suit pas, cela peut peser lourd sur le gouvernement qui a passé des contrats de rachat avec les producteurs indépendants », poursuit l’expert. Contactée, la compagnie nationale Rwanda Energy Group n’a pas donné suite à nos sollicitations.
Chez SPLK, on se targue tout de même de fournir une électricité « moins chère et beaucoup plus propre » que celle des anciennes centrales au diesel. Celles-ci ont d’ailleurs toutes été fermées en juin 2023 grâce à la montée en puissance d’autres sources d’énergie, comme le méthane.
Surtout, l’exploitation du gaz du Kivu demeure un projet très innovant et pour l’heure unique au monde. « Tout ici a été conçu sur mesure », explique Maximilien Byilingiro, en faisant visiter l’une des plates-formes offshore qui aspirent l’eau saturée en gaz à plus de 350 mètres de profondeur. En remontant, explique l’ingénieur, le gaz se sépare de l’eau, puis il est envoyé sous pression vers une deuxième installation située sur le rivage. Là, il est « lavé »de toutes ses impuretés, puis transformé en électricité.
La centrale a nécessité plus de 300 millions de dollars d’investissement et des années de travaux, souvent ralentis par les difficultés techniques et les aléas dus à la pandémie de Covid-19. Au pic de la construction, jusqu’à 1 000 personnes ont été mobilisées sur ce chantier, dont de nombreux experts internationaux.
De l’autre côté du lac, la RDC affirme aussi depuis plusieurs années vouloir tirer profit de ces gisements pour répondre à ses immenses besoins en électricité. Mais, jusqu’ici, aucun projet n’a vu le jour.
NewLatter Application For Free