La République démocratique du Congo est un des pays les riches en ressources naturelles. Néanmoins, le pays voit son essor économique freiné par les crises politiques mais également une opacité autour des flux financiers du pays.
À l’accession au pouvoir de Felix Tshisekedi en 2019, la lutte contre la corruption et les malversations financières faisaient partie de ses programmes phare. C’est ainsi qu’en 2020, Il nomme en Jules Alingete Key à la tête de l’Inspection générale des finances afin de passer à la loupe les finances publiques du pays. Cependant, la RDC a occupé en 2022, la 166e position sur 180 pays selon l’indice de perception de la corruption de Transparency International. Selon les données de l’organisation, 80 % des usagers des services publics ont versé un pot-de-vin au cours des 12 derniers mois.
La BBC s’est entretenue avec Jules Alingete, patron de l’Inspection générale, financière de la République démocratique du Congo. Il fait le point du travail accompli par son service depuis qu’il en tient les rênes depuis 3 ans maintenant.
BBC : Pouvez-vous nous faire, pour commencer, un bilan du travail que vous faites à la tête de l’Inspection générale des finances, notamment en matière de lutte contre la corruption et le détournement ?
JAK : Nous sommes à la tête de l’Inspection Générale des Finances de la République démocratique du Congo depuis le 30 juin 2020. À cette date, le chef de l’État, l’autorité directe de qui relève l’Inspection Générale des Finances, a confié à notre service la noble mission de lutter contre les antivaleurs dans la gestion publique. Nous sommes partis d’un état de lieux catastrophique, des antivaleurs constatés dans la gestion publique en RD Congo, état de lieux qui démontre suffisamment que l’ordre n’était pas au rendez-vous. Donc, je vous épargne des détails, globalement, C’est une situation catastrophique où la corruption, le détournement, étaient au rendez-vous à tous les événements en rapport avec la gestion publique. Voilà, dans quelle circonstance le chef de l’État décide de déclencher une lutte acharnée contre les antivaleurs dans la gestion publique.
Il confie le travail à l’Inspection générale des finances avant de réhabiliter une année plus tard, la Cour des comptes, la cellule nationale des renseignements financiers, CENAREF et les autres structures qui sont aujourd’hui actives dans ce travail de lutte pour l’éradication de la mauvaise gouvernance publique.
Aujourd’hui, l’Inspection Générale des Finances a fait un travail de titan 2020, 2021, 2022, aujourd’hui, 2023. Je pense que l’Inspection Générale des Finances a eu à repousser beaucoup d’anti-valeurs, à mettre hors d’état de nuire beaucoup de mauvais gestionnaires, et petit à petit, à réveiller dans la mémoire collective des Congolais l’existence d’un contrôle et l’existence des organes qui veillent pour éviter que les fonds publics soient mal gérés. C’est vraiment un bilan global que je peux vous dire.
Les résultats sont aussi palpables en ce qui concerne l’évolution des données macroéconomiques de notre pays, vous pouvez constater depuis que le chef de l’État a déclenché cette lutte contre les antivaleurs dans la gestion des finances publiques. Il y a des améliorations sensibles en termes de mobilisation des recettes, en termes de budgets, en termes de croissance économique, en termes de réserves de changes et d’autres paramètres économiques. Tout semble s’améliorer. Je pense que c’est un bilan très positif.
BBC : Quels sont les dossiers que vous avez traités, que vous avez dénoncés, qui ont donné lieu à des arrestations et plus encore, à des condamnations ?
JAK : L’Inspection générale des finances a traité beaucoup de dossiers, beaucoup. Je peux vous parler de l’audit de la Banque centrale du Congo en 2020, qui a abouti à la désactivation des cartes de crédit dont disposaient certaines autorités politiques, cartes de crédit qui étaient connectées directement au compte général du Trésor.
L’Inspection générale des finances a fait le travail qui a démontré que les impôts payés par les secteurs miniers qui passaient par la banque centrale étaient détournés au niveau de la Banque Centrale du Congo.
Nous avons travaillé sur la gratuité de l’enseignement en 2020. Nous avons démontré qu’il y avait des écoles fictives, qu’il y avait du personnel fictif, et je crois que ce travail est allé jusqu’au bout, les autorités du secteur éducatif étaient interpelées par la justice et certains d’entre eux ont été condamnés à 20 ans de prison, ils sont encore en prison.
Nous avons fait un travail sur l’utilisation des fonds alloués à la lutte contre la pandémie de COVID-19. Je pense que vous connaissez les résultats. Il y a eu des interpellations aujourd’hui. La justice s’est prononcée pour un acquittement. Ce dont nous prenons acte.
Donc, il y a eu également un travail au niveau gestion des entreprises de l’État. Plus 30 entreprises de l’État étaient sous le contrôle de l’Inspection générale des finances. À ce niveau, je peux vous dire qu’en 2020, le gouvernement a pris des mesures draconiennes de manière à neutraliser pratiquement tous les mauvais gestionnaires. Presque toutes les entreprises de l’État ont été sous ce contrôle, et je pense que très peu de gens ont résisté aux mesures prises par le gouvernement à l’époque.
Je peux également parler de la province de Lualaba, où nous avons réalisé des audits. la province du Kongo-Central, nous avons mené des audits, les gouverneurs sont partis. La province du Katanga et bien d’autres provinces.
Donc, au-delà de ça, c’est le travail du contrôle de gestion, des entités publiques, mais il y a eu aussi, pour l’Inspection Générale des Finances, la mise en place de la patrouille financière, qui est en fait une méthode de contrôle préventif qui vise à éviter la commission des actes de détournement et d’irrégularité.
Aujourd’hui, la patrouille financière s’est généralisée presque dans tous les coins chauds de la gestion publique, la douane, les impôts, les entreprises, les provinces, la chaîne de la dépense publique et la patrouille financière est vraiment en train de faire son chemin avec l’implémentation de la bonne gouvernance et l’éradication des anti-valeurs. C’est ce que je peux globalement vous dire, mais il y a bien d’autres choses.
Je peux aussi parler de l’évaluation contrat du siècle, le contrat chinois que l’inspection générale de finances a mené et qui a révélé des disparités énormes en ce qui concerne la répartition des gains dans cette convention. Aujourd’hui, cette convention est en train d’être révisée, peut-être que dans les tous prochains jours, un avenant sera signé qui donnera beaucoup plus d’avantages à la République Démocratique du Congo. Donc, Il y a vraiment beaucoup de dossiers que l’Inspection générale des finances a traité.
BBC : Vous l’avez dit plus tôt, Monsieur l’Inspecteur, que certains dossiers que vous aviez dénoncés se sont soldés par des acquittements. Vous dites aussi avoir pris acte du verdict de la justice. Est-ce que cela veut dire que le travail l’IGF était bâclé ou n’a tout simplement pas abouti ?
JAK : Non, ce n’est pas que le travail était bâclé, le processus pour arriver devant juge est un peu long. Lorsque l’Inspection Générale des Finances, qui est un service administratif, fait son travail, nous activons notre qualité d’officiers de police judiciaire pour saisir le parquet. Nous mettons les éléments à disposition du parquet. Le rôle du parquet dans ce cas-là c’est d’approfondir les investigations, de réunir les moyens des preuves s’il n’y en a pas et de décider si oui ou non il faut emmener la personne devant le tribunal. Donc lorsque le parquet décide d’emmener la personne devant le tribunal, c’est avec des éléments de preuves que le parquet amène la personne. Là, ce n’est plus le travail de l’Inspection générale des finances, mais c’est le procureur qui emmène le présumé coupable de détournement des deniers publics devant le tribunal.
La suite, je pense qu’on ne peut pas condamner l’Inspection générale des finances. Même dans l’hypothèse où le travail de l’Inspection Générale des Finances n’était pas assez solide, le parquet n’a pas l’obligation d’emmener le dossier devant le juge. Le parquet doit approfondir d’ailleurs, dans la plupart des dossiers, le parquet mène également ses propres enquêtes et a approfondi les dossiers pour emmener les présumés coupables de détournement des deniers publics devant le juge. Nous ne pouvons donc pas nous décourager.
Chacun doit faire sa part dans la lutte contre la corruption et l’éradication des anti-valeurs. Nous sommes un service administratif. Nous faisons notre contrôle. Nous estimons qu’il y a des choses qui ne se sont pas bien passées, qu’il y a eu des faits de corruption, des détournements. Nous saisissons les cours et tribunaux, plus particulièrement le parquet général, et c’est au parquet général de faire la suite. Si demain, nous sommes informés que le dossier est classé sans suite, nous prenons acte. Si nous sommes devant le tribunal et que la personne est acquittée, nous prenons acte. Mais nous continuons à faire notre travail.
BBC : Certaines personnes vous accusent de faire des allégations non fondées, où encore que vous faites une sélection dans le contrôle des entreprises, que répondez vous à cela ?
JAK : dans un environnement où la prédation avait atteint des proportions trop élevées, ou les voleurs, la criminalité financière a pu également monter ses journalistes, ses ONG, ses partisans. C’est tout à fait normal, quand vous faites un travail comme celui-ci, qu’il y ait des voix, des gens qui retrouvent du côté de la criminalité financière, puissent tirer sur vous.
Il est inadmissible que partout ailleurs, on reconnaît que la corruption, la mauvaise gouvernance est à la base du sous-développement. On reconnaît qu’il ne peut y avoir de cohabitation entre la corruption, les antivaleurs et la recherche du développement. Mais lorsqu’ il y a un organe de contrôle qui fait un travail, qui relève des faits qui sont vrais, vous voyez même des ONG qu’on fabrique pour les besoins de la cause, des journalistes qu’on recrute pour les besoins de la cause et qui s’attaquent aux structures de contrôle. Là, ça nous montre suffisamment que le mal était très profond dans notre environnement.
Ça ne nous dérange pas mais nous savons que nous faisons du bon travail pour le pays, pour autant qu’il y a la majorité des Congolais qui comprennent qu’aujourd’hui nous devons continuer à faire ce travail pour sortir notre pays de là où il a été mis par les gestions passées.
BBC : Est-il si difficile de lutter contre la corruption et le détournement de la RDC ?
JAK : Si vous comprenez que la RDC, en 2019, quand le chef de l’État fait l’état des lieux de la corruption dans notre pays, nous étions dans la zone rouge. Nous étions considérés comme un pays corrompu au même titre que l’Afghanistan ou un pays de non-droit. Dans un environnement pareil, mener un travail de lutte contre la corruption ce n’est pas facile.
Je pense que si nous le faisons, c’est parce que dans le pays il y a une volonté politique ferme, incarnée par Son Excellence le Président de la République, d’éradiquer les antivaleurs et qu’il y a un soutien de la population, il y a aussi Dieu qui est là, qui accompagne ce qu’on fait parce que c’est juste. Parce qu’il est impensable de voir le niveau d’anti valeurs, le niveau de corruption et le sommeil collectif dans lequel se trouvent le peuple.
Faire un tel travail de lutte contre la criminalité financière, ce n’est pas facile. C’est un travail extrêmement difficile. Vous êtes attaqués tous les jours parce que les réseaux criminels de notre pays le font depuis des années. Ce n’est pas d’aujourd’hui. Ce sont des phénomènes qui ont commencé il y a 50 ou 60 ans et qui perdurent depuis des générations. Ces réseaux résistent et ces réseaux ont une très forte capacité de contre-attaque lorsque vous faites le travail. Nous pensons donc aujourd’hui que c’est un travail extrêmement difficile que nous faisons.
Donc, cela ne nous surprend pas lorsque nous voyons des ONG créées pour les besoins de la cause, des journalistes soudoyés, au prix d’argent, s’en prendre aux organes de contrôle, alors que nous faisons un travail sain pour la République.
BBC : Et quelles difficultés rencontrez vous dans cet exercice de lutte contre la corruption, Monsieur Alingete ?
JAK : Oui, la difficulté tout d’abord c’est la corruption qui a été généralisée. La corruption avait mis ses racines dans pratiquement tous les domaines de la vie sociale et économique de notre pays. C’est une énorme difficulté. La corruption n’a épargné aucun secteur dans notre pays.
Il faut aussi ajouter à tout cela que nous étions pratiquement les premiers services à qui le chef de l’État confiait la mission et à doter les moyens juridiques et financiers pour faire le travail. Nous étions pratiquement les seuls à commencer le travail. Nous avons été la cible de pratiquement tous les réseaux mafieux. C’est donc un travail difficile en bref, mais nous le faisons.
BBC : Un gendarme qui ne punit pas ne fait pas peur. Travaillez vous en collaboration avec la justice congolaise ?
JAK : Nous travaillons en étroite collaboration avec la justice congolaise. Je vous ai dit qu’il y a des gens qui ont été arrêtés, qui sont en prison, qui sont condamnés. Il y a encore des gens qui sont en procès.
Donc, je confirme que nous travaillons avec la justice. Et si nous avons également fait des avancées dans ce travail, c’est avec le soutien de la justice. Même si les gens se plaignent des faiblesses du fonctionnement de notre système judiciaire, nous devons admettre que parfois, par sursaut d’orgueil, le système judiciaire a pu soutenir le travail de l’Institution générale des finances et nous avons obtenu certains résultats.
BBC : Pour permettre à tous ceux qui ne connaissent pas l’Inspection Générale des Finances de la RDC de comprendre ce que vous faites. Qu’est-ce que l’IGF et quel est son rôle ? De combien d’inspecteurs disposez vous aujourd’hui ?
JAK : L’Inspection Générale des Finances est un service administratif relevant de l’autorité directe du chef de l’État et est chargée du contrôle des finances publiques, c’est-à-dire de l’ensemble des dépenses et recettes publiques. En matière de dépenses publiques, nous contrôlons les dépenses du gouvernement, nous contrôlons les dépenses de l’État et des entreprises, nous contrôlons les dépenses des provinces et des entités locales. En recette, nous contrôlons la mobilisation des recettes par tous les services appelés à faire ce travail.
Pour accomplir nos missions de contrôle des finances publiques, dans tout le pays, nous disposons de 225 inspecteurs qui se déploient sur terrain et environ 107 points de contrôle pris en charge par l’Inspection Générale des Finances.
L’IGF a beaucoup plus fait mouvance dans le cadre de ses contrôles, contrôler a priori et non a posteriori ou des contrôles de gestion. Cela constitue un mode de surveillances en temps réel dans des coins chauds pour éviter que des irrégularités si elles veulent se commettre.